Chapitre 24

L'odeur d'urine imprégnait toute la pièce. Cette fois, il ne s'était pas contenté de l'égorger, si je puis dire. Il s'était livré à une mise en scène des plus macabres et l'avait suspendue à deux mètres du sol, au milieu de la chambre, ses pieds attachés à des cordes reliées aux quatre coins de la pièce. Son corps avait été proprement écartelé.

Le seul point positif que j'aurais pu lui accorder, c'était qu'il s'en était pris à une femme nettement plus âgée. Le mauvais, c'était qu'il s'agissait une mère de famille et que c'était sa petite fille de cinq ans, Gloria, qui l'avait retrouvée dans cet état. Rien n'est jamais parfait.

      Rebecca ?

      Je suis là, Beth, n'entre pas, répondis-je en me tournant vers la porte. Appelle Fergusson, dis-lui de venir.

      C'est à ce point ?

      Fais ce que je te dis.

Le sol était poisseux et couvert de sang. Les cheveux de la femme pendaient dans le vide. J'enfilai une paire de gants chirurgicaux et m'approchai de la dépouille. Elle était nue et portait des traces de coups. Je n'avais

pas besoin d'être voyante pour savoir qu'elle avait proviennent, elle aussi, été violentée.

                  C'est ma femme, Monica, nous avons trois enfants, je ne veux pas qu'on la voie comme ça, gronda un homme en pénétrant dans la pièce.

Ses yeux étaient dorés et ses bras étaient couverts de poils.

               Je vous en prie, je sais que c'est difficile mais ne touchez à rien, fis-je d'un ton apaisant.

               Si vous faisiez correctement votre boulot, ça ne serait pas arrivé ! se mit-il à hurler.

             Monsieur Gorgovitch, je vous promets que je fais mon possible pour arrêter ce malade. Mais si vous polluez la scène de crime, nous ne serons pas en mesure de récolter des indices, fis-je d'une voix neutre.

            Foutez le camp d'ici !!! cria-t-il en me projetant violemment en travers de la pièce.

Il y avait des moments où je détestais mon job. Celui-là en faisait indéniablement partie. Il m'avait sonnée et était en train d'arracher les cordes quand je me relevais. Le cadavre traînait maintenant partiellement dans un bain de sang, à même le sol. Abruti de loup-garou.

J'appelai le pouvoir de l'Air puis le propulsai à travers la fenêtre ouverte, histoire de le calmer un peu et d'éviter qu'il crée encore plus de dégâts.

         J'adore ta manière de consoler les veufs éplorés, dit Beth dans mon dos.

       Je te remercie de ton soutien, me contentai-je de répondre avec un sourire forcé.

      Tu as conscience qu'il va remonter dans quelques minutes et vouloir t'étriper ?

     Où est Gordon ?

      En bas, avec Linus, William et les enfants.

      Dis-lui de s'en occuper. C'est l'Alpha, à lui de se démerder, dis-je d'un ton sec, en ramassant une touffe de poils noirs sur la moquette verte et en la glissant dans une enveloppe.

       Monica était une femme adorable, Rebecca Coince ce salaud.

       Je m'y attelle figure-toi. Ce malade a fait de nombreuses victimes à travers le pays et aucun Assayim n'à la moindre idée de son identité ou de la manière dont on va pouvoir le coincer.

      Et toi ?

      Moi je suis à quatre pattes, couverte de sang, près du cadavre d'une victime tellement abîmée que ça me donne envie de gerber. Et je suis d'une humeur de dogue alors...

       OK, ça va, j'ai compris, dit-elle en claquant la porte.

Une fois Beth partie, je sondai la chambre mais sans y trouver le moindre résidu d'énergie, excepté celui d'un loup-garou femelle. Elle s'était transformée et s'était battue mais son bourreau devait être beaucoup plus puissant qu'elle. Je n'avais pas envie de la toucher pas envie de revivre encore les derniers instants d'une nouvelle victime de ce malade mais je n'avais pas la choix. Je saisis donc sa main et sentis un picotement me parcourir et se diffuser à travers ma nuque. Cet enfoiré s'en était donné à cœur joie. Je reçus ses émotions comme un coup de poing en pleine figure. Il ne s'agissait pas de réminiscences, comme pour Myriam, cette fois, la douleur, la peur s'infiltrèrent dans mes veines comme autant de brûlures violentes qui me firent hurler et trembler comme une gamine.

Elle dormait. Il s'était jeté sur elle par surprise et l'avait violemment frappée. Puis, il s'était transformé et avait attendu qu'elle fasse de même, puis, l'avait violée.

Avoir des rapports sexuels de cette nature n'était pas un phénomène courant chez les loups-garous. La plupart considéraient que c'était humiliant et pervers. Car aucun lycanthrope n'était capable de ressentir le moindre désir sous leur forme animale.

Je sentais sa gueule et ses crocs se planter dans mon cou et la sensation de dégoût, de nausée et de vertige qui m'empêchait de respirer. Et cette foutue impression que j'allais mourir.

      Rebecca ? Rebecca ! ! ! Nom de Dieu !

J'émergeais du calvaire de Monica comme après un cauchemar, en sueur et sans avoir conscience de ce qui était réel ou de ce qui ne l'était pas.

                   Ses yeux... ses yeux... parvins-je à articuler en tentant de reprendre mon souffle.

                  Que s'est-il passé ? demanda Gordon en me dévisageant.

Je me rendis compte soudain que j'étais allongée près du corps de Monica et que je baignais dans son sang.

Au temps pour mon professionnalisme.

Je me mis à genoux et posai doucement mes mains pour me redresser lorsque je sentis des bras me soulever délicatement.

                   Bonjour Rebecca, dit doucement le docteur Fergusson.

                 Désolée, toubib, je crois qu'on a complètement salopé votre scène de crime, fis-je en m'appuyant contre son torse, le temps de récupérer un semblant l'équilibre.

—-Ne vous en faites pas, je me débrouillerai, dit-il avec complaisance.

Je m'écartais prudemment et, en me tournant vers lui, constatais, un peu gênée, qu'il portait un magnifique costard et que je l'avais allègrement maculé de sang.

                     Oups... je crois que je vais vous devoir un pressing, fis-je en grimaçant.

Il me lança un regard amusé à travers ses lunettes et son visage si sérieux devint tout à coup beaucoup plus jeune et séduisant.

                     J'étais invité à une soirée très huppée chez les Winkler lorsque Beth m'a appelé. Je n'ai pas eu le temps de me changer.

      Mais vous avez votre attirail ?

                       Depuis que vous m'avez appelé la dernière fois, je l'emmène toujours avec moi. Juste au cas où...

Un bon point pour le muteur.

      Que t'est-il arrivé Rebecca ? demanda Gordon.

—J'ai revécu certains des derniers instants de

Monica. C'était vraiment... pénible, dis-je en tentant de rester impassible.

                     De qui parlais-tu quand tu disais « ses yeux » ? Tu as vu le meurtrier ? fit-il, soudain très excité.

      Oui et non.

      Comment ça ?

—- C'était un lycanthrope mais ses yeux étaient noirs comme l'ébène.

—- Tu veux dire que tu as vu son loup mais qu'il avait des yeux différents des nôtres ?

      C'est ça.

Fergusson et Gordon échangèrent un regard étrange.

      Quoi ? Quel est le problème ?

                     Nos légendes parlent d'une malédiction qui toucherait certains clans de loups-garous, fit Gordon, l'air songeur.

     Une légende ? Quelle légende ?

                     Ce ne sont que des histoires, Rebecca. Elles n'ont aucun rapport avec la réalité, fit Fergusson.

Brave toubib qui ignorait que la plupart des légendes étaient fondées sur des êtres ou des événements réels et que les monstres de nos cauchemars arpentaient le bitume de nos villes...

      Gordon ?

      Eh bien...

Mais ses yeux prirent soudain la couleur de l'ambre. Il se dirigea vers la fenêtre ouverte et respira profondément.

      Que se passe-t-il ? demandai-je.

      Il y a un vampire tout près d'ici.

S'il commençait à flipper à la moindre odeur de mort-vivant, on ne s’en sortirait pas.

     Je suppose qu'il n'est pas le seul dans le coin.

                   On est loin du centre-ville. C'est une zone résidentielle, il n'a aucune raison d'être ici.

                  Le meurtrier n'est pas un vampire, Gordon, fis-je en soupirant.

Mais il dévalait déjà l'escalier.

                  Rentrez chez vous Fergusson, dis-je au toubib, avant de le suivre. Ce n'est pas un soir à traîner dans le coin !

En bas, les pleurs des enfants et du mari avaient brutalement cessé. Les trois hommes qui avaient accompagné Gordon étaient en train de se transformer.

      Gordon ? Vous m'avez entendue ?

      Amenez-le-moi ! gronda l'Alpha sans m'écouter.

Les trois loups se mirent à hurler et se ruèrent vers la nuit noire.

                     Je vous le répète : ce n'était pas un vampire, Gordon ! fis-je en me plantant devant lui.

Le loup se mit à grogner mais je ne reculai pas.

                     Beth m'a dit que tu pensais qu'il avait un complice qui l'aidait à voler et lui permettait de s'enfuir sans laisser la moindre trace. Alors pourquoi pas un vampire ? gronda Gordon.

Dans le genre têtu, il se posait là...

                     Ça va. Vous avez gagné mais vous restez près de moi, d'accord ?

Le vieux loup fronça les sourcils.

                     Les vampires capables de voler sont assez rares et généralement très âgés. Je doute que trois malheureux loups ne suffisent à le coincer, expliquai-je.

Gordon hocha la tête puis se transforma à son tour. Je me mis à courir. J'appelai le pouvoir de la Terre et décryptai les énergies aux alentours. La fleur de lys dans mon cou se mit à briller et prit le goût du sang que nous poursuivions. Cette fois, c'était sûr : les loups n'avaient aucune chance.

Je cessai aussitôt de courir et m'immobilisai dans le noir. La rue était déserte et les maisons du lotissement, toutes plongées dans l'obscurité.

      Gordon, ne bouge pas.

Le loup huma l'air et ses yeux se mirent à briller.

Soudain il apparut comme par enchantement devant nous.

      Gordon ! Non !

Le loup avait bondi avant que j'aie eu le temps de réagir et j'entendis brusquement un glapissement de douleur. Michael avait projeté le lycanthrope loin de nous d'un revers de la main et malgré ses capacités de régénération et sa force herculéenne, le vieux loup semblait avoir sacrément morflé.

                 Tu n'étais pas obligé de faire ça, fis-je d'un ton de reproche.

                 Il m'agresse. Je n'ai fait que me défendre, se défendit le vampire.

La pleine lune se reflétait dans ses cheveux argentés et ses yeux semblaient plus terrifiants que jamais.

     Qu'est-ce que tu fais ici ?

                Je t'observe. Je te regarde travailler. Je trouve ça... distrayant.

Gordon était revenu vers nous en boitillant. Il était accompagné des trois autres loups. Ils nous encerclaient mais Michael ne semblait pas s'en inquiéter. Ni même les remarquer.

                Gordon, n'attaquez surtout pas. Il vous tuerait, fis-je d'un ton autoritaire.

              Tu t'es ramollie, Rebecca. Il y a quelques années,  tu aurais laissé mourir ces imbéciles sans broncher.

                Tu es sur mon territoire et je suis un Assayim, Michael. Si tu t'attaques à eux, tu enfreins la loi et mes ordres. Donne-moi une raison, rien qu'une seule pour pouvoir te tuer, fis-je en sentant la magie sortir lentement de la Terre et pénétrer ma peau.

Il me dévisagea et parut soudain me prendre au sérieux.

     Tu ne plaisantes pas. Tu m'affronterais vraiment.

            Sans hésiter. Ces hommes sont sous ma protection, fis-je d'une voix glaciale.

             Dans ce cas, pourquoi ne pas nous présenter ? demanda-t-il en souriant.

Pourquoi pas, en effet. Je me tournai vers l'Alpha.

                     Gordon, chef du clan du Vermont, je te présente Michael, Consiliere du haut conseil de l'ancien continent. Il est depuis hier en visite dans notre État.

Le loup-garou reprit immédiatement sa forme humaine. Ce n'était pas la première fois que je le voyais nu comme un ver mais je ne pouvais pas dire que je me sentais plus à l'aise que les fois précédentes.

                     Je suis confus. Je n'avais aucune idée que j'avais affaire à un membre du Directum du Vermont et l'un de mes hôtes, dit Michael avec une expression amusée

                    Non, non, c'est moi. Je savais que vous vous trouviez sur notre territoire mais je ne m'attendais pas vous rencontrer de manière si peu... formelle, fit-il en le saluant.

La scène était étrange après ce qu'il venait de se passer entre eux. Mais j'étais heureuse de voir leur facette de diplomates prendre le dessus sur leurs instincts guerriers.

Je sentis un léger mouvement des trois loups autour de nous et les arrêtai immédiatement en levant les mains, comme la victime d'un hold-up.

                     Si je vois un seul d'entre vous à poil, je le flingue, c'est clair ?

J'entendis un éclat de rire.

                     Tu n'étais pas si pudibonde autrefois, dit-il en faisant un clin d'œil.

Gordon ne put cacher sa surprise.

      Autrefois ?

                     Nous sommes de vieux amis, Rebecca et moi, ajouta Michael avec malice.

                     Je vois, dit Gordon avec un sourire narquois Puis-je savoir ce qui vous amène par ici ?

                  Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'espionnais notre charmante Rebecca, répondit-il simplement.

                 Je ne voudrais pas vous vexer, Michael, mais je trouve votre comportement un peu étrange. Je pensais qu'un homme comme vous était beaucoup trop occupé par ses responsabilités pour passer sa nuit à suivre une jeune femme, aussi jolie soit-elle, dit Gordon.

               Étrange ? Tu m'étonnes. Il est taré, obsessionnel et possessif ! m'écriai-je. Et en plus, il ose débarquer sur mon lieu de travail.

Puis, je me tournais rageusement vers Michael.

              Tu mériterais que je te tire dessus avec un lance-missiles !

             Je suis sûr qu'elle en a caché un quelque part, répondit Michael d'un ton taquin.

             C'est possible, admit Gordon en souriant à son tour.

             Oh c'est pas vrai ! fis-je en retournant vers la maison des Gorgovitch d'un pas rageur.

En entrant dans le salon, je croisai le regard interrogateur de Beth.

            Fausse alerte, murmurai-je. Où sont Peter Gorgovitch et les enfants ? Leur voiture n'est plus là.

            Ils sont partis avec Fergusson chez Gordon, Martha va les accueillir. C'était trop dur pour eux de rester là.

      D'accord, fis-je soulagée.

      Où est Gordon ?

     Il arrive.

      Le vampire vous a échappé ?

        Je n'ai pas l'habitude de m'enfuir, belle dame, fit tout à coup une voix sur le palier de la porte.

Beth fronça son adorable petit nez et se recoiffa instinctivement. Je reconnus immédiatement ce tic qu'elle avait toujours lorsqu'un homme lui plaisait. Et Michael était indéniablement à son goût, vu la manière dont elle le dévorait des yeux.

      Entrez, je vous en prie, dit-elle d'une voix suave,!

Ah ces loups et leur foutue libido...

Gordon et les autres lycanthropes firent leur apparition à leur tour et j'étais heureuse de constater que l'Alpha était le seul à être dans la tenue d'Adam. Ses trois acolytes avaient visiblement pris mes menaces au sérieux et attendaient de retrouver leurs effets pour reprendre forme humaine. La déesse soit louée.

      Beth, voici Michael, Michael, je te présente Beth,

             Alors c'est vous la charmante et adorable Beth ? On m'a beaucoup parlé de vous. Je suis ravi de faire votre connaissance, dit Michael en lui faisant un baisemain.

Est-ce que j'étais la seule à trouver cette scène déplacée dans un moment pareil ?

              Et vous, vous êtes le célèbre Michael ? fît-elle en jetant un regard appuyé dans ma direction.

Je haussai les épaules et soupirai.

             Il passait dans le coin, a vu de la lumière et a décidé de s'incruster dans notre joyeuse petite sauterie, raillai-je en croisant mes bras sur ma poitrine.

             Votre Alpha m'a expliqué la situation. J'ai pensé que je pourrais me montrer utile, répondit-il nonchalamment.

             Ah oui ? Et comment ? demandai-je en respirant lentement pour ne pas perdre mon calme.

Il y a un psychopathe sur votre territoire assez malin pour échapper non seulement à l'odorat puissant des loups mais aussi aux compétences extraordinaires d'une sorcière de ta trempe. Alors, ne fais pas la fine bouche, dit-il d'une voix douce.

Je levai les yeux au ciel.

     Qu'est-ce que tu proposes ?

     Puis-je voir l'endroit où ça s'est passé ?

               Tu sais très bien où ça s'est passé. Tu es capable de sentir l'odeur du sang frais à plus d'un kilomètre, remarquai-je.

               C'était une manière délicate de te demander de me guider au premier étage, fit-il d'un ton toujours aussi amusé.

Gordon posa doucement sa main sur mon bras et hocha la tête en signe d'assentiment.

     Bon, d'accord. Suis-moi, fis-je, excédée.

Je grimpai les marches et tirai instinctivement sur mon tee-shirt. J'étais heureuse d'être en jeans. Si j'avais porté une de mes jupes d'été, de l'endroit où il me trouvait, rien n'aurait pu lui échapper.

Nous étions à peine arrivés sur le palier qu'il m'attrapait la taille et me chuchotait dans l'oreille :

            Tu es magnifique, ma chérie. Encore plus belle que dans mes souvenirs.

             Lâche-moi ! Si Raphaël apprend que tu es ici, avec moi, sans sa permission...

            Mais je ne suis pas avec toi. Je suis avec Gordon, un chef de clan, et je me trouve dans cette maison avec son autorisation pour participer à une enquête. Ça n'a rien à voir...

Enfoiré de politicien... Toujours à trouver des explications tordues pour justifier des actes qui l'étaient tout autant.

      Lâche-moi, Michael, fis-je cette fois d'une voix glaciale.

J'entendis des pas qui grimpaient à leur tour l'escalier.

      Puis-je vous accompagner ? demanda Gordon en fronçant les sourcils.

Il avait entendu notre discussion ainsi que tous les autres loups présents dans la maison et venait à ma rescousse. Dieu bénisse l'instinct protecteur des loups-garous !

      Mais bien entendu, répondit Michael en ôtant, avec une réticence évidente, ses mains de mes hanches.

J'adressai à Gordon un sourire reconnaissant et nous entrâmes tous les trois dans la chambre. Je me tournai vers Michael et vis que son visage s'était aussitôt départi de l'expression joyeuse qu'il arborait quelques secondes plus tôt. Ses yeux brillaient d'une lueur d'argent et s'étaient terriblement durcis à la vue du spectacle qui s'offrait à lui. Il balaya rapidement la pièce du regard et sembla se concentrer non pas sur le cadavre mais sur la fenêtre restée grande ouverte.

Il approcha doucement du rebord et posa sa langue sur la peinture blanche. Puis se tourna vers moi.

      Aucun vampire n'est passé par ici, fit-il d'une voix grave. Je ressens une énergie mais... je ne parviens pas à la reconnaître.

Puis, il s'abaissa près de Gloria et observa ses blessures.

      Alors Sherlock, c'est tout ? raillai-je.

     Non, ma chérie. Je peux te dire que tu as affaire à un lycanthrope mais qu'il n'appartient pas à une espèce courante.

      Autre chose ? demanda Gordon.

     Oui. Il était seul.

Je fronçai les sourcils.

     Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

                  L'urine gêne l'odorat des loups et des muteurs, pas la nôtre. Cet imbécile a recouvert le cadavre de cette femme de sa puanteur nauséabonde.

     Tu saurais la reconnaître ?

      Sans aucun problème, fit-il avec assurance.

                 Les vampires peuvent donc le traquer ? demanda Gordon.

     Non mais je saurais le reconnaître.

Il me scruta un moment puis se tourna vers l'Alpha.

     Gordon, puis-je vous proposer mon aide ?

                 Ce n'est pas à moi de décider mais à notre Assayim, fit Gordon en me dévisageant.

               Michael n'a pas le temps. Il a des obligations, des soirées, des réceptions. Aucune chance que je le laisse fourrer son nez dans ce qui ne le regarde pas, dis-je d'un ton catégorique.

              Accepte mon aide, je n'ai pas envie de m'inquiéter pour toi, insista Michael.

     Ah parce que tu t'inquiètes pour moi ?

              Ce type est un maniaque. Un tueur. Je n'ai pas envie qu'il t'arrive quoi que ce soit. Ni maintenant, ni jamais, fit-il en plongeant son regard dans le mien. A la place de Raphaël, je ne te laisserais jamais courir ce genre de risque.

              Raphaël est assez intelligent pour ne jamais empiéter sur mon boulot. Il me laisse travailler comme je l'entends.

      Mais il reste ton maître...

      Oui

Je sentis la respiration de Gordon s'arrêter, mais en fin stratège, il ne laissa pas apparaître la moindre surprise sur son visage.

      Je pourrais le tuer, dit-il d'un ton sérieux.

      Une solution un peu risquée, tu ne trouves pas ?

      Oui mais foutrement séduisante.

      Fiche moi la paix Michael.

                     Je m'en vais, ma chérie. Pour cette fois. Mais crois-moi, ce sera la dernière, dit-il en disparaissant brusquement.

                     Charmant garçon, commenta Gordon en soupirant.

                     Oui. Je compte prochainement déclencher un conflit mondial en lui arrachant le cœur et en le décapitant.

      Un peu radical mais sûrement très amusant...

     N'est-ce pas ?

Gordon me prit doucement dans ses bras et je collai ma tête contre son épaule.

                      C'est la merde, Gordon. C'est vraiment la merde...

      Alors comme ça tu appartiens à Raphaël ?

                     Disons que d'une certaine façon, nous nous appartenons l'un l'autre. Et que pour l'instant, ça arrange bien mes affaires.

                    Fais attention à toi, petite. Quand Raphaël nous a demandé l'autorisation de laisser pénétrer ce Michael sur notre territoire, j'ai pris quelques renseignements sur lui. Et il s'avère que c'est un véritable sauvage, dit-il en me soulevant délicatement le menton.

                    Je sais. Mais je ne sais pas quoi faire pour calmer les choses.

                      Tu as envisagé de partir et de te cacher quelque part?

                      Des milliers de fois. Mais ça ne servirait à rien. Et puis, j'ai des responsabilités ici. Vous avez besoin de moi.

Il me frotta le haut du crâne comme on le fait avec les chiots, puis soupira :

                        C'est étrange, je ne pensais pas qu'un jour j'aurais peur pour toi.

                      Moi non plus. Parfois, j'ai l'impression d'avoir tellement changé ces dernières années que j'ai du mal à me reconnaître.

Les émotions humaines étaient comme des virus. L'amour, la peine, la jalousie, la colère, m'avaient progressivement envahi au fil des ans. J'étais contaminée et le mal empirait.

      C'est une bonne ou une mauvaise chose ?

                    Les deux, je suppose. Je me suis attachée à des personnes, à ma fille, à Beth, à Raphaël, à Bruce, à vous... ça me rend heureuse mais ça m'affaiblit aussi.

       La machine à tuer est en train de s'enrayer ?

                    Je n'en suis pas encore là. Et vous, comment allez-vous, Gordon ?

                   J'attends impatiemment que William devienne assez fort pour prendre ma place et défier Dante.

                  Je pourrais peut-être m'en occuper... proposai-je en plissant les yeux.

Il secoua la tête.

       Ce n'est pas ainsi que ça doit se passer.

      Peut-être pas, mais qui le saurait ?

                 William doit être assez fort pour gagner. Seul. Il doit montrer aux miens qu'il sera capable de me succéder.

Il me sourit et dit d'un ton chaleureux :

                     Mais je te remercie de ton soutien, Rebecca. Avoir un Assayim aussi puissant et bienveillant que toi est une vraie bénédiction.

                    Bienveillante ? C'est bien la première fois qu'on me la fait celle-là.

     Et pourtant c'est le cas.

Je jetai un coup d'œil à Monica, puis reportai de nouveau mon attention sur lui.

     J'espère surtout être plus efficace, fis-je.

Il secoua la tête d'un air triste.

                    Rentre chez toi et va te coucher, tu ne peux rien faire d'autre ici ce soir.

                   Non. J'imagine que non, admis-je à regret tandis qu'il éteignait la lumière.

Le noir s'abattit sur la pièce comme le rideau d'un théâtre sur un drame. Mais malheureusement, nous n'étions pas dans une fiction. Le cadavre de cette ravissante mère de famille baignant dans une mare de sang à moitié séché était on ne peut plus réel.

     Bonne nuit, Gordon, fis-je en sortant de la maison.

     Bonne nuit, Rebecca.